Le programme « ni de droite ni de gauche » du candidat MACRON était attendu. Serait-ce donc lui qui aurait trouvé la potion magique providentielle qui redonnerait force et vigueur à une nation en plein doute identitaire dans un monde qui, nous dit-on, change. Alors ? Changement atypique ou psaume christique ?
Une lecture critique s’impose. Elle révèle un travail peu sérieux comprenant à la fois des dispositifs qui existent déjà, la poursuite de la politique menée depuis 5 ans, des mesures non financées, une ignorance certaine du monde du travail et de l’ensemble de ses acteurs, etc.
UNE AUGMENTATION DES SALAIRES DANS LE SECTEUR PRIVE PAYÉE PAR LES FONCTIONNAIRES ET LES RETRAITÉS.
Ça commence très bien, tout du moins pour les électeurs du privé. Les entreprises n’augmentent pas les salaires bruts. Ce n’est pas grave, il suffira, selon le programme, d’augmenter les salaires nets par une diminution des cotisations. Et où trouver l’argent pour financer la protection sociale ? Deux solutions sont, timidement (aucune précision technique), avancées par le programme présidentiel.
- D’abord, une hausse de la CSG. Or, la CSG est une cotisation salariale… On marche en rond. De plus la hausse de la CSG va très concrètement toucher les retraités, les fonctionnaires, etc.
- Ensuite, une hausse de la prime d’activité (anciennement « RSA activité »), ce qui devrait représenter « près de 80 € supplémentaires par mois ». Oui, mais comment financer la nouvelle prime d’activité.
À ce stade, il n’est donc nullement question de réforme. Le projet consiste à simplement agir sur les curseurs. Nous n’en saurons pas plus. Suffira probablement de bien voter pour voir…
« Au total, grâce aux deux mesures précédentes, un salarié au SMIC touchera chaque mois 100 euros nets supplémentaires par rapport à aujourd’hui ». Une augmentation mensuelle du SMIC est certainement toujours bonne à prendre, mais rien n’est précisé sur les modalités de la dégressivité pour les salaires supérieurs. Votez et vous serez sauvés…
UNE BAISSE IMPROBABLE DE LA MASSE SALARIALE POUR LES EMPLOYEURS
C’est-à-dire « un travail moins cher pour l’employeur ». Le programme commence par une réflexion intéressante et manifestement fondatrice à laquelle personne n’avait pensé : « Baisser le coût du travail permettra d’augmenter la compétitivité des entreprises ». Cette fois, c’est trois mesures qui sont annoncées :
- Transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en « allégement permanent de cotisations sociales de 6 points», pour faire « gagner du temps aux employeurs des petites entreprises ». C’est bien connu le temps c’est de l’argent… et dans l’entreprise on a jamais le temps. Nous n’en saurons pas plus sur ce nouveau ratio temps/CICE. Or, outre le fait que le CICE est un échec notoire, on ne voit pas comment un dispositif purement fiscal (mécanisme de crédit d’impôt sur les sociétés et taxe sur les salaires) pourrait être transformé en outil d’allégement de cotisations sociales dont les règles d’assiette et de prélèvement sont totalement différentes.
- « Nous faciliterons l’embauche des salariés peu qualifiés, en atteignant « zéro » charges générales au niveau du SMIC». Or, c’était déjà le cas de 2007 à 2010, et c’est actuellement le cas depuis le 1er janvier 2015.
- « Nous créerons des “emplois francs”». Or, les emplois francs ont été lancés en 2013 et stoppés faute d’un quelconque succès. Lire : « Le retour du fantôme des « emplois francs » imaginé par Emmanuel Macron ». http://bit.ly/2mtyCh3
UNE SIMPLIFICATION HYPOTHÉTIQUE DU DROIT DU TRAVAIL
Le programme prévoit une simplification pour « ceux qui créent du travail, pour eux-mêmes comme pour les autres ». Plusieurs mesures sont au programme :
- la création d’un « code du travail digital» et d’un « site qui donnera accès aux PME aux obligations légales et conventionnelles à respecter, ainsi qu’à des conseils fournis par l’administration ». Or, il existe déjà, depuis de nombreuses années, des sites, gratuits, qui remplissent cette fonction comme légifrance.fr, ou plus accessibles comme service-public.fr ou les fiches du site du ministère du Travail, pour ne citer que les plus connus et reconnus comme fiables. Des instances récemment créées comme les CPRI remplissent également cette fonction.
- En réalité, ce n’est pas l’accès au droit qui pose difficulté, mais son application. Quant aux « conseils fournis par l’administration», le secteur privé aurait aussi des conseils à donner aux administrations. Ce que demandent les entreprises ce sont des simplifications administratives.
- « Nous réduirons nettement les cotisations sociales qui pèsent sur les indépendants». Comment sera financée cette réduction ?
- « Nous supprimerons la caisse qui gère le Régime Social des Indépendants (RSI) pour l’adosser au régime général». C’est déjà en cours.
- « Nous supprimerons les charges des microentreprises». Comment sera financée cette réduction ?
- « Nous ferons un effort massif pour l’apprentissage » et «nous développerons les périodes de préapprentissage ». De nombreuses aides, substantielles, existent déjà en provenance de l’État ou des régions sans résultats significatifs dans une situation de chômage de masse. Or, aucune mesure concrète supplémentaire n’est annoncée.
RIEN DE NEUF DANS LA LUTTE CONTRE LA PRÉCARITÉ.
Comment ? « Nous instaurerons un système de bonus-malus sur les cotisations d’assurance chômage ». Or, ce système a déjà été instauré par une loi du 14 juin 2013.
« Nous instaurerons un plafond et un plancher pour les indemnités prud’homales pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (hormis les cas de discrimination, de harcèlement, etc.) ». Or, c’est déjà le cas depuis un décret du 23 novembre 2016.
L’OUVERTURE DES DROITS À INDEMNISATION CHÔMAGE DES SALARIES DÉMISSIONNAIRES
« Nous ouvrirons les droits à l’assurance-chômage aux salariés qui démissionnent » « tous les 5 ans ». Mais, alors, pourquoi encore parler d’« assurance chômage » puisque c’est le salarié qui créera lui-même le sinistre ? On approche du revenu universel…
« Ceci incitera les entreprises à investir pour améliorer la qualité de vie au travail afin de conserver leurs salariés ». Or, les entreprises connaissent déjà les lois du marché du travail et les moyens à y consacrer, qui ne sont pas uniquement, et de loin, ceux de la qualité de vie au travail, étant simplement rappelé qu’elle constitue déjà un thème de négociation obligatoire (article L. 2242-8 du Code du travail).
« Si plus de deux emplois décents selon des critères de salaire et de qualification sont refusés, ou que l’intensité de la recherche d’emploi est insuffisante, alors les allocations seront suspendues ». Résultat : mieux vaudra ne pas démissionner… En réalité, la notion d’emplois « décents » et la légitimité du refus d’une proposition de Pôle emploi sont des questions objectivement complexes que l’honnêteté commanderait d’aborder avec plus de nuances.
« La majeure partie des contributions actuelles des entreprises pour la formation sera progressivement convertie en droits individuels pour les actifs ». C’était déjà le cas avec le DIF jusqu’en 2014 et, depuis le 1er janvier 2015, c’est actuellement le cas avec le CPF, sans compter l’échec pourtant connu de ces deux dispositifs.
ET L’APPLICATION PLEINE ET ENTIÈRE DE LA LOI EL KHOMRI…
C’est l’exacte reprise de la loi EL KHOMRI, ou loi « travail », du 8 août 2016 (initialement intitulée Loi MACRON2). Or le programme présidentiel laisse croire à la mise en place de nouvelles règles. Toute la loi EL KHOMRI se retrouve dans le programme MACRON, sans le moindre changement : « la primauté sera donnée aux accords d’entreprise sur les accords de branche », « Tout accord d’entreprise résultera soit d’un accord majoritaire avec les syndicats, soit d’un référendum à l’initiative de l’employeur ou des syndicats sur la base d’un accord minoritaire », « Une instance unique de représentation reprenant l’ensemble des attributions des comités d’entreprises, délégués du personnel et CHSCT serait mise en place dans toutes les entreprises et tous les groupes sans limitation de plafond, sauf accord d’entreprise visant à maintenir les instances existantes ou à en créer de nouvelles », etc.
On se contente de refaire l’histoire, sans jamais tenir compte des propositions des représentants des salariés et des entreprises (quid du dumping social ?) pour modifier une réforme qui a rendu plus complexe le droit du travail (c’est plus simple d’appliquer le droit que de devoir le recréer en permanence dans le contexte d’un dialogue social fragile et incertain : la signature des partenaires sociaux n’est jamais garantie et le référendum peut s’avérer tout aussi contrariant).
Or, les entreprises, au sens communauté de travail des employeurs et de salariés, ont besoin de règles claires et stables pour se concentrer sur leur cœur de métiers.
Le programme prévoit encore de renforcer « la formation des représentants des salariés » « pour que syndicats et employeurs parviennent à mieux se comprendre et aboutir à des solutions communes plutôt que de confronter des positions stériles ». Simple naïveté ou mépris des partenaires sociaux ? Peut-être les deux. Cela fait longtemps que les employeurs et représentants du personnel se comprennent et qu’ils n’échangent pas que des propos stériles. La réalité est autrement plus complexe. Employeurs et salariés risquent une nouvelle fois de déchanter.
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