L’accord national interprofessionnel (ANI) entre partenaires sociaux prévoyait que l’abondement du compte personnel de formation (CPF) augmenterait en passant de 33 à 35 heures par année, avec un plafond de 400 heures. Pour les salariés d’un niveau de qualification infra bac (CAP, BEP ou équivalent), le compte personnel de formation serait abondé de 55 heures par année, limitée à 550 heures.
Mais les partenaires sociaux ont perdu tout contrôle de la formation professionnelle au bénéfice de l’État…
LE COMPTE PERSONNEL DE FORMATION DEVRAIT ÊTRE VALORISÉ EN EUROS
Contrairement à ce que souhaitaient les partenaires sociaux, la ministre du Travail a annoncé que le compte personnel de formation sera désormais libellé en euros et non plus en heures[1]. Les partenaires sociaux estiment qu’une comptabilisation en euros entraînera une inflation des coûts de formation et, par conséquent, une « baisse des droits pour les salariés »[2].
Chaque salarié verra son compte crédité de 500 € par an, dans la limite d’un plafond de 5 000 €, soit dix ans. Ces montants portés respectivement à 800 et 8 000 € pour les salariés non qualifiés[3]. Ces sommes, conservées à la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC), seront débloquées automatiquement pour payer une prestation de formation certifiante ou qualifiante, choisie par le salarié ou le demandeur d’emploi.
Les salariés à temps partiel, à mi-temps ou plus, devraient bénéficier des mêmes droits que les salariés à temps plein[4] : ce qui apparait comme une très bonne chose.
UNE RECHERCHE DE LISIBILITÉ POUR LES BÉNÉFICIAIRES POTENTIELS DE LA FORMATION
La première raison évoquée pour faire ce choix porte sur la lisibilité (ce qui n’est pas évident entre heures et prix), mais surtout sur le recours aux formations en ligne[5] pour lesquelles la notion d’heures n’est pas opportune. La question qui se pose alors est de savoir quel pourra être le contrôle sur de tels produits dans la pratique et quel sera le bénéfice réel au terme de ces formations, quels que soient les dispositifs mis en place.
La lisibilité s’appuiera sur la création d’une « application mobile CPF » pour proposer « des formations simples et accessibles pour les personnes »[6]. Au-delà de la formule de communication, sans préjuger des intentions, le bon fonctionnement de cette plateforme compte tenu de la masse de données à gérer intelligemment apparait comme un véritable pari à gagner.
Par ailleurs, la question reste de savoir si cet accès individuel en ligne à une offre de formation, via une plateforme, accroitra la mobilisation des salariés à consommer leur compte. Il ne faut pas se cacher que l’appétence des salariés à se former est par expérience fort variable. Le « droit à l’accompagnement renforcé » ne suffit pas…
LE CHOIX EST FAIT DE FREINER LA FORMATION DES SALARIES QUALIFIES
La seconde raison évoquée concerne la volonté de privilégier la formation des salariés non qualifiés :
« Les euros sont aussi plus justes parce que l’heure de formation d’un cadre est plus chère que celle d’un ouvrier ou d’un employé et qu’en donnant des heures à tout le monde, on donne en fait plus aux premiers et moins aux seconds. »[7]
Cette mesure va jouer à plein contre les salariés qualifiés, dont les cadres.
Elle apparait irresponsable dans la mesure où TOUS LES SALARIES ONT BESOIN DE BÉNÉFICIER DE FORMATION PROFESSIONNELLE. Il faut bien admettre que le cout de formation d’un cadre du numérique coute plus cher que celle d’un ouvrier du bâtiment.
Qui peut imaginer que freiner la formation des personnels qualifiés est une solution d’avenir, alors que ce sont ces salariés qui participent à la stabilité et au progrès de leur entreprise dont ils assurent à des niveaux divers les responsabilités.
Cela veut également dire que les entreprises employant structurellement du personnel qualifié (de par leur activité) verront leurs personnels avoir un accès limité à la formation…
Enfin, l’expression « salariés non qualifiés » reste assez peu précis : par exemple, peut-elle concerner un cadre en reconversion professionnelle sur un métier pour lequel il n’est pas qualifié ?
COMMENTAIRE :
Ce choix résulte d’un choix idéologique que certains « experts » et « chercheurs » professent depuis fort longtemps. Il ne résulte pas des résultats de leurs travaux, mais d’un de leurs préjugés, il tourne le dos à une prise en compte de la réalité des situations et des évolutions rapides du marché du travail.
[1] Source : « Transformation de la formation professionnelle » Conférence de presse – Intervention de Muriel Pénicaud – 5 mars 2018 – http://bit.ly/2FlqyZW
[2] FO : « la monétisation du CPF qui risque de faire perdre des droits aux salariés ». La CFDT réaffirme que ce changement d’unité de mesure ne doit pas être un affaiblissement des droits des salariés. La CGT n’est pas surprise du mépris avec lequel sont traités les acteurs sociaux, encore une fois, ce gouvernement leur dénie le droit de négocier en instaurant « un chèque formation » pour solde de tout compte rejeté par les 8 organisations syndicales et patronales autour de la table de négociation.
[3] « Pour tous les salariés, 500 euros par an crédités sur le Compte Personnel de Formation (CPF) pour choisir sa formation certifiante en toute liberté. Au bout de 10 ans, le CPF atteindra 5000 euros, son plafond. Pour les salariés en CDD, le compte sera crédité prorata temporis. Les entreprises pourront aller au-delà et abonder le CPF de leurs salariés. Le CPF est ainsi consolidé comme droit personnel garanti collectivement. »
« Pour les salariés non qualifiés, 800 euros par an plafonné à 8 000 euros pour changer de catégorie professionnelle. Conformément à l’accord signé par les partenaires sociaux, les droits des personnes sans qualification seront majorés par rapport aux autres salariés : pour ces personnes, le CPF sera crédité de 800 euros par an, plafonné à 8000 euros. Cela permettra à aux salariés sans qualification de changer plus rapidement de catégorie professionnelle et d’évoluer dans leur carrière. »
[4] « Le bonus ainsi accordé aux salariés à temps partiel permettra de l’accès à la formation de ces salariés, qui sont à 80% des femmes. C’est une mesure qui aura un impact très fort sur les inégalités entre les hommes et les femmes, car nous savons qu’au-delà des salaires, c’est sur les carrières que se jouent les inégalités, et l’accès à la formation est déterminant pour booster sa carrière ou changer de métier. »
[5] « Pourquoi des euros plutôt que des heures ? Parce que les euros sont plus concrets et lisibles pour les personnes et permettent toute forme de formation, notamment les formations en ligne. »
« la définition de l’action de formation sera revue, de façon à : (…) encourager les formations innovantes (Moocs, digital learning, modularisation…) (…) »
[6] « Une application mobile CPF sera créée pour que chacun, salarié et demandeur d’emploi, ait la liberté de choisir sa vie professionnelle. Avec l’application, chacun pourra : connaître les droits acquis sur son compte, les différentes formations certifiantes proposées dans son bassin d’emploi ou sa région et les dates de session des différentes formations ; s’inscrire directement en formation, sans appel à un intermédiaire et sans validation administrative ; choisir sa formation en connaissant le taux d’insertion dans l’emploi à l’issue de la formation et le salaire prévisionnel à l’embauche ; choisir sa formation en fonction des commentaires laissés par les salariés et demandeurs d’emploi formés et des comparateurs d’offres qui aident chacun dans son choix de formation. »
[7] Source : « Transformation de la formation professionnelle » Conférence de presse – Intervention de Muriel Pénicaud – 5 mars 2018 – http://bit.ly/2FlqyZW
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