LES BÉNÉFICIAIRES D’AIDES DE SOLIDARITÉ POURRONT-ILS SE VOIR IMPOSER UN TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL ?
Le thème de d’éventuelles « contreparties » à fournir par les bénéficiaires d’aides de solidarité (dont le RSA) a refait surface. Le Premier ministre a dit qu’il est :
« indispensable d’avoir des mécanismes de solidarité pour ceux qui sont dans la difficulté, il ne s’agit pas de revenir en arrière, il s’agit de s’interroger sur ‘est-ce que cette solidarité elle peut s’accompagner de contreparties, d’activités, d’activités d’intérêt général ?‘ »[1].
La ministre du Travail a fait suite en déclarant :
« Cela fait partie des sujets que nous allons regarder avec Agnès Buzyn, les ministres concernés et les partenaires sociaux dans les mois qui viennent. »[2]
Un président de Région[3] propose d’expérimenter, dans sa région, un mécanisme de contrepartie au Revenu de Solidarité Active (RSA) :
« On demanderait aux gens qui ont le RSA de faire des heures de TIG : aider les maisons de retraite, rendre visite à des personnes handicapées, entretenir les espaces verts, aider lors de festival ou des associations. »
Concrètement, il propose de faire voter un projet de loi, permettant aux Conseils départementaux de rendre obligatoire, pour tous les bénéficiaires du RSA, 5h d’activités d’intérêt général par semaine « en contrepartie » du RSA.
La raison d’une durée de 5 heures de TIG, alors que précédemment, il parlait de 7h (soit une journée) reste inconnue… La durée maximale des TIG est aujourd’hui de 280 heures.
LE TRAVAIL D’INTÉRÊT GÉNÉRAL (TIG) EN FRANCE EST UNE SANCTION PÉNALE DE SUBSTITUTION A L’EMPRISONNEMENT.
« Le travail d’intérêt général (TIG) est un travail non rémunéré, effectué sur décision de justice au bénéfice d’une association ou d’un service public. Le juge pénal peut en effet condamner à un TIG le délinquant de plus de 16 ans qui a commis certaines infractions. Le TIG peut être une peine alternative, une peine complémentaire ou une mesure de contrainte pénale. La durée du TIG est variable. Le refus d’exécuter le TIG est sanctionné. »[4] (…)
« Le juge d’application des peines, saisi par le procureur, fixe, après le procès, le type exact des travaux à effectuer. Cette décision ne peut pas être contestée. Le travail peut consister à : améliorer l’environnement naturel (jardinage…), réparer les dégâts liés au vandalisme (peinture, vitrage…), entretenir le patrimoine, (restaurer un bâtiment historique…), travailler auprès de victimes d’accidents de la route, notamment dans le cas d’une infraction routière, ou effectuer des actes de solidarité (aides aux personnes défavorisées…). »
Cette condamnation au TIG peut-elle être appliqué à tous les bénéficiaires du RSA ?
LA NATURE ET L’OBLIGATION DES « CONTREPARTIES » AU RSA POSENT PROBLÈME. IL SEMBLE INDISPENSABLE D’ÉVITER TOUTE CONFUSION.
S’il s’agit d’encourager des bénéficiaires du RSA à d’engager dans le bénévolat dans un cadre associatif, c’est une excellente idée dans la mesure où cela leur apporte activités et du lien social. C’est ce que pratique un département alsacien. Dans le cas du bénévolat, le nombre d’heures consacré à cet engagement est variable et il peut même avoir plusieurs engagement parallèles ou successifs. Les associations peuvent ensuite délivrer des attestations aux bénévoles chaque année si nécessaire. Les bénévoles peuvent suivre une formation si nécessaire par rapport à leur activité. Les associations prennent en charge les frais divers liés aux bénévoles.
S’il s’agit en fait d’exercer du temps de travail au service de collectivités locales, cela semble peu sérieux pour une série de raisons :
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Un temps de travail non rémunéré poserait question vis-à-vis du Code du travail. Par exemple : « entretenir des espaces verts » revient à réaliser un travail d’un jardinier qui suppose une qualification.
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Le caractère obligatoire de ce travail conduit à mobiliser un nombre très important de bénéficiaires : il conduit à un problème quantitatif vu le stock existant.
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L’organisation de ce travail, dans la durée, impose un encadrement (avec un lien de subordination), des plannings de travail, la mise à disposition de matériel, des assurances, etc. Bref, il faut dégager un budget important.
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Ce travail d’intérêt général d’un nombre très important de personnes conduirait à supprimer des emplois existants dans les collectivités locales[5]. 7 bénéficiaires du RSA à 5 heures par semaine remplacerait un poste salarié à 35 heures.
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Cette vision « hors sol » ignore les différences profondes existantes entre les diverses populations bénéficiaires du RSA : familles monoparentales, jeunes de moins de 30 ans, séniors, personnes âgées, personnes ayant des troubles non reconnus encore comme un handicap, etc.
Vu les précédents arguments, il ne semble pas raisonnable aux professionnels en charge de ces publics d’appliquer un dispositif unique et obligatoire à l’ensemble des bénéficiaires du RSA.
PLUSIEURS MOTIVATIONS COEXISTENT PAR RAPPORT A CES DÉCLARATIONS POLITIQUES
La réflexion de ces politiques répond, au moins, à trois raisons :
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Une intention idéologique de « nantis » qui consiste à penser qu’il ne faut pas « payer des gens à ne rien faire ». Cela évoque une vision bourgeoise du XIXème siècle. C’est la critique même du RMI, puis du RSA qui repointe. Même si le RSA a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale… Cette approche apparait aussi comme une réponse à une demande de type « gilets jaunes » de salariés disposant de bas salaires et qui critiquent les assistés dont des bénéficiaires travaillant au noir.
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Une approche quantitative, des conseils départementaux, confronté à une augmentation du nombre des bénéficiaires et à l’« explosion » des dépenses du RSA, cherchent à organiser des contrôles et des sanctions pour radier des allocataires du système. Des exigences nouvelles, comme les « contreparties » constitueraient des motifs de radiation.
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Un désir d’expérimentation. Ce thème illustre la revendication de certaines collectivités locales d’une décentralisation à la carte. Des élus de collectivités locales veulent reprendre la main sur des dossiers par le biais d’expérimentations (promises par les projets de loi de réforme constitutionnelle toujours en attente[6]). Cela touche leurs compétences actuelles, mais aussi l’élargissement de leurs compétences. Par exemple, une Région n’a pas de compétence sociale touchant au RSA.
On peut craindre que les expérimentations accordées par le niveau central à des collectivités produisent une sorte de patchwork social, plus ou moins profond, selon les demandes qui ont déjà été formulées. Les différences de traitement, existant déjà, seraient démultipliées en fonction des territoires.
POUR « SORTIR DU RSA », LA SEULE SOLUTION EST LE TRAVAIL ET LA CRÉATION DE NOMBREUX EMPLOIS.
Cette idée de « droits et devoirs » des bénéficiaires ne doit pas cacher que la priorité devrait être donnée à l’entrée ou au retour à l’emploi du maximum d’entre eux. On sait que cela passe par :
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Un taux d’inscription à Pôle emploi des bénéficiaires du RSA plus important qu’aujourd’hui.
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Un accompagnement vers l’emploi effectif de tous ceux qui le veulent, par Pôle emploi ou des services départementaux dédiés,
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Un recours pragmatique à la formation, sur la base de la demande existante,
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Le retour à la mobilisation d’emplois aidés dans le secteur non-marchand.
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Une politique enfin centrée sur l’objectif du plein emploi.
Imposer des TIG en contrepartie du RSA, comme évoqué, suppose l’abandon du combat contre le chômage de masse et stigmatise des chômeurs et des bénéficiaires des minimas sociaux. Cela me semble une faute politique lourde.
[1] « Il n’est pas scandaleux, je le dis comme je le pense, de poser la question des droits et des devoirs. »
[2] « C’est bien d’équilibrer les droits et les devoirs quand on a un système collectif. Et c’est bien de dire à ceux qui sont en difficulté : la société vous aide, elle vous donne une sécurité, elle vous donne un revenu pour vivre et survivre. Et en même temps vous pouvez apporter quelque chose de votre côté. » La ministre du Travail.
[3] Laurent Wauquiez
[4] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1407
[5] Laurent Wauquiez a précisé : « Mais attention, il ne faut pas que cela détruise l’emploi ». Un exercice difficile…
[6] Le gouvernement compte offrir aux élus locaux un « droit à la différenciation », dans cadre de la réforme de la Constitution.
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