COMMENT SYSTÉMATISER L’ANALYSE DE L’IMPACT DE TOUTE MESURE SUR LE DÉVELOPPEMENT DU « TRAVAIL NON DÉCLARÉ » ?
Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) constate, dans un récent rapport[1], que les politiques publiques ne mesurent pas les effets des décisions prises sur le développement du travail non déclaré.
« Le Conseil observe ainsi que des politiques aux effets structurants sur le marché du travail n’ont en effet pas été analysées au vu de leurs effets sur le travail non déclaré, tant au moment de leur conception (ex ante) que de leur évaluation (ex post).
C’est le cas par exemple du CICE, des évolutions du régime social et fiscal des heures supplémentaires, de l’activité réduite, de la régulation des contrats atypiques, de la prime d’activité, de la politique de soutien aux emplois à domicile… »[2]
L’examen recommandé par le COE devrait aujourd’hui porter sur les choix en cours, par exemple :
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Le projet de malus sur les contrats courts (dans le cadre de la réforme de l’assurance chômage),
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La politique à l’égard du travail à domicile (avec la baisse du plafond des dépenses déductibles des impôts ou même la suppression des niches fiscales évoquées),
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Le statut des travailleurs des plateformes numériques (indépendants ou salariés),
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L’évolution des fraudes sur le travail détaché (selon les nouvelles dispositions et l’intensité des contrôles),etc.
Le COE conseille de « systématiser l’analyse de l’impact éventuel sur l’augmentation ou la diminution du recours au travail non déclaré de toute évolution d’une politique publique pouvant avoir un impact en la matière »
« l’étude d’impact devrait ainsi inclure systématiquement un audit sur le risque de fraude. S’assurer que toute évaluation ex post d’une politique publique inclut bien un volet consacré à ses effets sur la déclaration du travail. »
Reste à voir si ces sages conseils seront pris en compte dans les mois qui viennent.
LE TRAVAIL NON DÉCLARÉ A UNE RÉELLE IMPORTANCE ÉCONOMIQUE.
Le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) vient de publier un rapport sur le thème : « Le travail non déclaré ». La définition retenue par le Conseil, pour considérer le travail non déclaré, est :
« toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics » [3].
Le sujet est très intéressant et la démarche menée assez complète, sur un phénomène complexe et difficile à quantifier par principe.
L’économie parallèle souffre par nature d’un déficit de données. Les difficultés d’observation nuisent à la situation de certains travailleurs, aux finances publiques comme à la concurrence loyale entre entreprises dans un même secteur.
Le rapport avance néanmoins des chiffres indicatifs, issus du croisement de différentes approches :
« Le travail non déclaré représenterait en France entre 2 et 3% de la masse salariale et pourrait concerner, selon les formes et temporalités prises en compte, autour de 5 % de l’ensemble de la population de 18 ans ou plus. »
« Il s’agit donc d’un phénomène significatif, même si en la matière les différentes estimations doivent être, par définition, prises avec prudence. »
Une estimation indique que cette part de cette économie représenterait près de 13% du produit intérieur brut (PIB) en France.
Les chiffres français, dans ce domaine, apparaissent bas par rapport à ceux de pays voisins et la tendance serait à la baisse, autant qu’on puisse l’estimer, mais cela reste une réalité significative.
Le travail non déclaré conduit à plusieurs conséquences :
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Absence de droits sociaux attachés au statut de salarié ou d’indépendant selon le cas et, par conséquent, situation de précarité des travailleurs,
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Divers risques pour les employeurs,
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Concurrence déloyale[4] et perturbation du fonctionnement normal du marché du travail,
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Manque à gagner pour les comptes publics et de sécurisation du financement du système de protection sociale, etc.
« L’ACOSS estimait ainsi que le manque à gagner, pour le seul travail dissimulé, en matière de cotisations sociales atteignait probablement entre 4,4 et 5,7 milliards d’euros en 2016 pour les régimes de protection sociale. »
LA FRAUDE SOCIALE TOUCHE DAVANTAGE CERTAINS SECTEURS ET CERTAINES FORMES.
Les secteurs les plus concernés par la fraude sociale sont le BTP, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, l’agriculture, le commerce alimentaire de détails, le gardiennage, le transport, etc.[5]
Le travail au noir se traduit par des « dissimulations d’activité » dans 30% des cas, et par des « dissimulations d’emploi salarié » dans 70% des infractions.
Le recours à de faux statuts progresse, sous des formes qui se compliquent et se diversifient progressivement[6]. Les plateformes numériques (uberisation)[7], d’une part, et le travail détaché, d’autre part, sont à l’origine de nombreuses fraudes.
LES TRAVAILLEURS NON DÉCLARÉS SONT GÉNÉRALEMENT DES CHÔMEURS, DES INDÉPENDANTS, DES SALARIES EN CDD OU EN INTÉRIM.
Le travail non déclaré concerne davantage les chômeurs et les travailleurs indépendants que les salariés, à l’exception des salariés en CDD ou en travail temporaire.
Le travail non déclaré est ciblé sur certains profils[8] :
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Les micro entrepreneurs[9] (plateformes numériques employeurs)[10],
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Les salariés en contrats courts, CDD ou CTT,
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Les employés à domicile et gardes d’enfants,
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Les travailleurs détachés de l’Union européenne[11],
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Les chômeurs, etc.
LE DÉVELOPPEMENT DU TRAVAIL NON DÉCLARÉ VARIERA SUIVANT LES MESURES QUI VONT ÊTRE PRISES CONCERNANT CES CATÉGORIES.
[1] Rapport « Le travail non déclaré » – COE et France Stratégie – Février 2019 – Conclusions et recommandations du Conseil – https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/coe-rapport-travail-non-declare-fevrier-2019.pdf
[2] « Le Conseil, tout en étant conscient des difficultés méthodologiques sérieuses pour évaluer l’impact d’une politique sur le travail non déclaré ex ante ou ex post, considère que cette dimension doit désormais être intégrée dans la conception de toute nouvelle politique publique (ou de toute évolution substantielle d’une politique existante). »
[3] Le COE a retenu dans le cadre du présent rapport la notion de travail non déclaré entendu comme « toute activité rémunérée de nature légale, mais non déclarée aux pouvoirs publics » : elle repose donc sur une approche économique et se distingue ainsi de l’approche plus juridique propre aux notions de travail illégal ou de travail dissimulé qui supposent notamment une intentionnalité de la fraude.
[4] « En employant des personnes non déclarées, les entreprises fraudeuses échappent à la réglementation et peuvent alors profiter abusivement d’un coût du travail moins élevé que les entreprises en règle. »
[5] En matière de contrôle, les secteurs les plus surveillés sont en premier lieu la construction (35%), les entreprises de travail temporaire (15%) et les activités de transport (10%).
[6] « C’est notamment via des entreprises de travail temporaire que des montages juridiques avec des sociétés ‘écran’ sont construits, mais aussi au travers de la sous-traitance en cascade, de sociétés intermédiaires qui n’ont pas ou plus d’activité (‘coquilles vides’) ou encore de sociétés éphémères. »
[7] La frontière entre le travail indépendant et le salariat apparait discutable et les tribunaux viennent de trancher dans plusieurs affaires en faveur de la requalification.
[8] La population concernée serait principalement constituée de jeunes ou éventuellement de séniors. Leur niveau de qualification est le plus souvent faible. Mais il est difficile de généraliser tant le phénomène est diffus.
[9] « Le développement très fort et rapide du régime du micro-entrepreneur a remis au premier plan les pratiques de fraudes au statut, même s’il ne les a pas créées ».
[10] Le développement des plateformes numériques ayant recours à des « indépendants », qui ne le sont pas vraiment, a tendance à générer des fraudes.
[11] « Alors que le nombre de travailleurs détachés augmente en France, les fraudes au détachement apparaissent dans les mêmes temps de plus en plus sophistiqués. Les dossiers traités sont souvent significatifs, même si les montants restent faibles en comparaison du total des redressements notifiés pour travail dissimulé. »
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