COMMENT SE PRÉSENTE LE PLAN POUR L’EMPLOI DE L’ILE DE LA RÉUNION ?
A La Réunion, Emmanuel Macron a annoncé le « Plan Pétrels »[1] pour l’emploi de 700 millions d’euros sur trois ans, après son échange avec 11 demandeurs d’emploi à la Mission locale de Saint-Paul à Savanna[2]. Le discours du Président été rempli de belles formules[3] et d’autres qui portent davantage à débat :
« On investira aussi sur l’emploi en tant qu’État employeur, l’État sera exemplaire en ce domaine, avec des emplois confiés à des Réunionnais ».
Cette précision implique le recrutement de contractuels et non de fonctionnaires titulaires…
Les dispositions annoncées, dans le cadre du plan, répondent à une forte attente sur l’Ile, compte tenu d’une réelle situation de crise existant sur le plan de l’emploi[4].
Mais, ces mesures n’ont rien de spécifiques. Elles consistent en une mobilisation de crédits existants des budgets 2020 « emploi » et « solidarité », ciblés sur le département avec soit un maintien, soit une intensité supérieure, soit quelques pratiques dérogatoires.
Le renvoi à la responsabilité des acteurs locaux est clairement exprimé :
« Autour de ce plan de mobilisation pour l’emploi, des jeunes comme des décrocheurs, on apporte une partie de ces solutions. Le reste est entre vos mains ».
UN SIMPLE MAINTIEN DES EMPLOIS AIDES ET DE LA GARANTIE JEUNES
15% des « Parcours emplois compétences (PEC) », au niveau national, restent affectés à La Réunion[5]. Mais le chiffre de 12 000 PEC a déjà été atteint en 2018.
Le Président a justifié sa politique de diminution drastique du nombre des emplois (vraiment) aidés :
« Les emplois aidés étaient devenus une forme de précarité administrée. Nous avons revu cette politique depuis 2017 et créé les Parcours emplois compétences ».
L’effet de ce choix a été plus fort encore qu’ailleurs dans ce département où les emplois aidés étaient nombreux, un emploi sur 10 était aidé !
De la même manière, la « garantie jeunes » est simplement maintenue pour 2 800 jeunes par an.
DES MESURES MISES SUR UNE SUR-MOBILISATION DE MESURES EXISTANTES
Ont été annoncée pour 2020 :
- Le doublement du budget de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE),
- Une croissance du nombre des formations de demandeurs d’emploi de 5 000 par an, passage de 17 à 22 000 demandeurs d’emploi entrant en formation, dans le cadre du PIC signé avec la Région, 66 000 chômeurs bénéficieraient : « de formations qualifiantes dans des secteurs qui recrutent ».
Il semble illusoire que 66 000 nouveaux emplois voient le jour dans les trois ans !
- Une prime augmentée pour le recours aux emplois francs[6] (dont le budget n’est pas consommé au niveau national), prenant le nom « Emploi Réunion » à destination des personnes en difficultés qui habitent un des 49 quartiers « politique de la ville ».
- Le doublement de l’enveloppe allouée au soutien aux jeunes les plus éloignés de l’emploi, au travers de l’appel à projet « Repérage des invisibles»,
- Un budget pour la création d’entreprises susceptibles de créer rapidement de l’emploi salarié[7], et une enveloppe pour accompagner au moins 100 jeunes de 18 à 30 ans qui créent ou reprennent une entreprise, en leur donnant accès à une subvention de 7 320 euros et un accompagnement des jeunes entrepreneurs dans le cadre du PIJ (Projet Initiative jeune).
Les autres mesures annoncées concernent :
- Le doublement du des micro-crédits, pour lutter contre les emplois informels et le travail au noir, et l’augmentation du plafond du micro-crédit de 12 000 à 15 000 euros.
- Des emplois supplémentaires de coopération dans les pays voisins en VIE et plus de formations en apprentissage associant les CFA de La Réunion et les organismes de formation d’autres pays de l’Océan indien.
UNE NOUVELLE NICHE FISCALE VERRAIT LE JOUR.
Au 1er janvier 2020, un amendement adopté à l’Assemblée nationale permettrait
« le 0 charge patronale pour les salaires jusqu’à 2 Smic dans les secteurs prioritaires de la production locale (industrie agroalimentaire, tourisme, plaisance…) ».
Des critiques ont été formulées quant au choix limitatif des activités concernées par cette exonération des charges patronales.
Une nouvelle niche fiscale verrait ainsi le jour.
D’AUTRES MESURES CONCERNENT LA SOLIDARITÉ
Coté solidarité, le RSA sera financé directement par l’État, et non plus le Département, à partir du 1er janvier 2020,
« pour redonner des marges de manœuvre à la collectivité, dans la conduite de ses actions d’insertion ».
Cette disposition répond aux difficultés financières du conseil départemental face à la monté en charge du budget du RSA[8]. Un cumul du RSA et de l’activité partielle ou saisonnière serait toléré à La Réunion dans une limite de durée et de montant. Pour les allocataires du RSA reprenant un emploi, une nouvelle aide devrait être mise en place (sans précision !). Le Préfet est chargé de présenter l’avancement du plan chaque trimestre…
LE CHÔMAGE TOUCHE PLUS DE 20% DE LA POPULATION TOTALE DE LA RÉUNION
La Réunion compte environ 888 000 habitants (prévision de 900 000 en 2020).
Au troisième trimestre 2019, La Réunion comptait 166 000 demandeurs d’emploi, tenus à une recherche active d’emploi (catégorie A, B et C de Pôle emploi)[9]. Dont 137 000 en catégorie A.
Le taux de chômage était de 24% des actifs en 2018, soit une hausse de 2 points par rapport à 2016[10]. Il était de 43 % pour les moins de 25 ans, soit plus du double de celui de la métropole.
Sur le plan social, 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. 17% de la population âgée de 15 à 64 ans bénéficiaient, en 2016, du RSA.
LE PLAN PETRELS NE SUFFIRA PAS
L’application à La Réunion, même renforcée, de la politique de l’emploi actuelle du gouvernement ne peut apporter des améliorations qu’à la marge. La question posée est celle de la croissance des activités sur l’Ile.
Le Président reconnait à sa manière la question.
« La réponse qu’on a eue pendant des décennies, c’est de dépenser de l’argent public. Vous avez un problème ? Venez, emploi public. On donnait du Doliprane pour un mal profond. Il faut passer aux antibiotiques ».
Mais il semble évident qu’il vaut mieux un anti douleur que rien du tout.
Le « plan Pétrels » ne constitue en rien une « politique pour des emplois durables », mais juste la déclinaison d’ajustements d’une politique à faible intensité (et budget) qui seront réalisés ou non en 2020.
Contrairement à ce que suggère son discours[11], il ne comprend pas la réalité de la situation sociale et renvoie à plus tard, d’où un mécontentement assez général et malheureusement des évènements violents.
[1] « Plan Pétrels » comme « Priorités et rassemblement pour l’emploi local ». Le Pétrel est un oiseau migrateur de La Réunion.
[2] 24 octobre 2019.
[3] « Pas capab lé mort sans essayer, et nous on a décidé d’essayer ensemble ». « Il y a beaucoup de nos jeunes qui se disent que l’accès à l’emploi n’est plus fait pour eux. L’avenir de La Réunion passe par un réengagement, quel que soit le quartier. Il faut sortir de cet enclavement, et que les entreprises peuvent se dire qu’un jeune qui sort de ce quartier, je peux l’employer ». « La formation est un levier pour créer plus d’emploi local ». – Emmanuel Macron
[4] « Les réponses qui sont apportées aujourd’hui sur la question de l’emploi vont dans le bon sens », selon le président de la Région Réunion.
[5] « De 2019 à 2022, il y aura 12 000 emplois aidés par an, maintenus, stabilisés. C’est un minimum, un amortisseur absolument indispensable, sur une durée de 3 ans, avec un suivi ». – Emmanuel Macron
[6] L’employeur aurait zéro charge jusqu’à 2 Smic et un accompagnement de 7 500 euros pour un CDD, et 15 000 euros pour un CDI sur trois ans.
[7] La prévision d’une création de 600 entreprises avec 300 emplois salariés, soit 900 personnes en reprise d’activité sur trois ans, parait optimiste. Le budget est de de 500 000 euros par an.
[8] « Une confirmation qui va nous permettre – Département et État – de travailler à nouveau pour une meilleure insertion des bénéficiaires » – Le président du Département.
[9] Source : Pôle emploi-Dares, STMT
[10] « Le taux d’emploi baisse ainsi de 2 points entre 2016 et 2018 : l’emploi salarié recule (- 3 400 personnes), en lien principalement avec la baisse du nombre de contrats aidés. Conséquence de la hausse du halo autour du chômage, la population active réunionnaise continue à diminuer pour la troisième année d’affilée. » Insee 23/10/2019 https://www.insee.fr/fr/information/2018985
[11] « Je n’oublie pas que c’est peut-être à La Réunion qu’ont eu lieu les plus grandes manifestations de colère à l’occasion de la crise des “gilets jaunes”. Cette colère avait des explications, ce sont les difficultés du quotidien. » (…) « Le gouvernement est déterminé à apporter des réponses concrètes, mais ça ne se fera pas en un jour. »
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