Les circonstances récentes ont suscité une demande en faveur de l’engagement de la jeunesse. La réponse consiste en un projet d’élargissement du Service Civique à 150 000 jeunes. Cette montée en charge rapide des effectifs apparaît comme hautement improbable.
LES CIRCONSTANCES DE LA RELANCE DU SERVICE CIVIQUE
Les attentats terroristes de janvier 2015 ont suscité une réaction générale de condamnation. Néanmoins, cette condamnation a été contestée, en particulier, par des élèves dans les établissements scolaires. Ces comportements ont servi de révélateur public de la méconnaissance des principes de la République par une fraction de la jeunesse. Des propositions ont alors été émises concernant, d’une part, les mesures à prendre dans les écoles, collèges et lycées et, d’autre part, un possible retour à un système de conscription (qui n’est que suspendu). Sur ce second point, des propositions ont été faites en faveur du service militaire, du service national, du service civique, de la création d’une garde nationale, etc.
Pour résumer brièvement, l’objectif commun de ces propositions est de relancer l’apprentissage de valeurs communes, une période de mixité sociale, la notion d’engagement collectif (par rapport à la réussite individuelle), mais aussi de concourir à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes.
Depuis la suspension du service national, beaucoup de propositions de loi ont déjà été déposées sur ce thème. Ces idées anciennes ont été reprises à cette occasion. Les rapports portant sur le sujet du service national ou civique ont également été nombreux[1] et presque tout y a déjà été dit. Ces propositions parlementaires ou déclarations publiques émises en janvier proviennent de tous bords politiques.
Ces propositions portent généralement sur un service obligatoire, d’une durée de 3 à 8 mois, concernant garçons et filles soit de l’ordre de 800 000 jeunes par an[2], dont l’encadrement reste à définir. Elles ont suscitées des réactions négatives portant à la fois :
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sur le coût d’un tel dispositif (accueil et encadrement de 800 000 jeunes) et
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sur la très grande difficulté politique à faire admettre, sans opposition majeure, un service obligatoire, de 3 mois ou plus, à l’ensemble de la jeunesse.
L’ANNONCE D’UN SERVICE CIVIQUE UNIVERSEL
Le Président de la République a affirmé le 5 février que « si on devait aller vers un service civique obligatoire, le peuple devrait être consulté » (par référendum), mais ce n’est pas à l’ordre du jour, il a annoncé des mesures qui tendent à répondre à l’attente exprimée en tenant compte des freins existants :
- Le développement de la réserve citoyenne [3] pour mener des actions au sein des établissements scolaires, sachant que beaucoup d’interventions extérieures existent déjà.
- Une expérimentation en métropole du Service Militaire Adapté (SMA), dans trois centres tests en France métropolitaine[4], pour un effectif restreint,
- Une augmentation de 25% des effectifs de l’EPIDE (Etablissement Public d’Insertion de la Défense)[5], soit 750 places supplémentaires.
- Une augmentation des effectifs du service civique actuel[6] à partir du 1er juin 2015,
L’essentiel de l’annonce concerne le Service Civique. Il concernerait plus de 20% d’une classe d’âge (soit 150 000 à 160 000 jeunes) et devient « universel » c’est-à-dire ouvert à tous les jeunes qui le souhaitent, mais reste basé sur le volontariat des jeunes. Tous les candidats volontaires devraient se voir affecter une mission à compter du 1er juin 2015.
LES CONDITIONS DE LA MONTEE EN CHARGE DES EFFECTIFS DE JEUNES EN SERVICE CIVIQUE
Les structures accueillant des jeunes en Service Civique se réjouissent de l’annonce de l’élargissement de ce service et du maintien du caractère volontaire de celui-ci (voir Communiqué du « Mouvement associatif »). Néanmoins, beaucoup des responsables associatifs font part de leurs réserves sur la montée en charge du dispositif « dans un délai particulièrement court » [7] .
Le passage de 35 000 volontaires en 2014 à 45 000 en 2015 (+28,5%) n’était pas acquis. Donc, le passage à 100 000 volontaires en fin d’année 2015 , nécessaire pour arriver à 150 000 volontaires en 2016, semble hautement improbable sans un plan global.
Pour parvenir à l’atteinte de ces objectifs, il faudrait lever l’ensemble des freins existants à la montée en charge des effectifs du service civique, c’est à dire dégager des moyens.
L’expérience acquise ces dernières années, sur les missions proposées, le mode de recrutement des volontaires et la gestion des jeunes en mission, permet de proposer plusieurs idées. Cette liste reste à compléter.
En premier lieu, le chiffre évoqué de quatre candidats pour un poste en service civique parait très approximatif. La demande réelle des jeunes n’atteint pas ce niveau. Une nouvelle campagne de communication sera indispensable..
Pour les jeunes intéressés, la décision de candidater dépend en grande partie de la nature des missions proposées et de l’intérêt de celle-ci perçu par chaque jeune. La dynamique dépendra de l’offre en missions des structures d’accueil associatives ou des services publics.
Par ailleurs, les capacités d’accueil de jeunes en service civique dans les associations (qui assurent 80% de l’accueil de jeunes en service civique) sont limitées par la diminution des financements associatifs. Les frais d’encadrement de ces jeunes doivent donc être pris en charge par des financements accordés aux structures d’accueil par l’agence pour le service civique (ASC). Cela représente un coût important, mais il s’agit d’une dépense incontournable pour multiplier les effectifs par 4 ou 5. La croissance du nombre de postes en dépend étroitement.
Ce financement de l’encadrement des jeunes existait dans le cadre du « Service Civil Volontaire », il a été supprimé lors de sa transformation en Service Civique par mesure d’économie et a changé le modèle de développement.
Enfin, le budget nécessaire pour prendre en charge un nombre largement supérieur de jeunes en service civique reste à adopter dans le cadre d’une loi de finances rectificative 2015. Il faudra ajouter de l’ordre de 500 millions d’euros, en crédit d’engagement, au budget de 160 millions actuellement programmés pour 2015.
Cette progression des moyens ne peut être réalisée par des transferts internes au budget de la jeunesse. Il faudra donc mobiliser d’autres financements publics.
La seule augmentation des effectifs de la tête de réseau : l’ASC et l’évolution de ses procédures a été annoncé. Ces mesures sont effectivement nécessaire, mais elles ne suffiront pas à assurer l’atteinte de l’objectif de 150 000 volontaires sans les actions évoquées précédemment sans les moyens nécessaires.
[1] Le rapport à consulter : « Faut-il instituer un service civil obligatoire ? » Alain BEREAU – Conseil d’analyse de la société (CAS) – 2007. « Le Conseil d’analyse de la société s’interroge sur l’opportunité de rétablir un service civil pour les jeunes, 10 ans après la suspension du service militaire. Population concernée, possibilités d’exemption, durée et contenu du service, caractère obligatoire ou non de ce service comptent parmi les questions que se pose l’auteur du rapport, l’Amiral Alain Béreau. »
[2] Une classe d’âge moins des jeunes malades ou handicapés.
[3] « La réserve citoyenne se compose de personnes volontaires pour contribuer au renforcement du lien entre la Nation et les forces armées. Si vous souhaitez en faire partie, vous devez remplir certaines conditions de nationalité et d’âge notamment. La participation à la réserve citoyenne n’ouvre droit à aucune forme de rémunération ou d’indemnisation. » « La réserve citoyenne mène prioritairement des actions de sensibilisation et de soutien en direction : des collectivités locales, du monde de l’éducation, du monde de l’entreprise, de la jeunesse (notamment par l’intermédiaire des « réservistes locaux à la jeunesse et à la citoyenneté »). »
[4] Le Service Militaire Adapté outre-mer (SMA) est un service militaire destiné aux ultramarins de 18 à 25 ans. Créé en 1961, il a été maintenu après la suppression du service militaire national, en 1996, au vu de ses bons résultats dans l’insertion professionnelle des stagiaires. Le dispositif a accueilli 5 666 jeunes en 2014. Le SMA est coûteux (plus de 212 millions d’euros annuels) en raison de l’encadrement des stagiaires.
[5] L’EPIDE accueille chaque année 3 000 volontaires dans 18 centres répartis sur le territoire français, pour une durée de 8 à 24 mois. A travers un parcours individualisé, sa mission est de favoriser l’entrée dans la vie active de jeunes de 18 à 25 ans très éloignés de l’emploi.
[6] Créé en mars 2010, le service civique permet à des jeunes âgés de 16 à 25 ans d’effectuer des missions dans des associations, des collectivités locales ou des établissements publics pendant six à douze mois. La rémunération est fixée à 573 euros net par mois, soit un peu plus qu’un stage. Il a concerné 35 000 jeunes en 2014 et devait monter à 45 000 en 2015.
[7] Expression de M. François HOLLANDE
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