Il est beaucoup question en ce moment de réformer le code du travail, notamment depuis le discours du premier ministre au Congrès du Parti socialiste, des déclarations de Robert Badinter, de l’Institut Montaigne et de Terra Nova, sous les applaudissements du MEDEF.
Mon avis est que la quantité d’articles dans le Code du travail n’est pas un problème, ou en tout cas il ne nécessite pas les déclarations actuelles sur la gravité de la situation. En revanche, il y a certainement lieu de simplifier, et même d’alléger, certaines règles. D’autre part, il faudrait repenser les modes de travail et de financement de la protection sociale.
La vraie question est celle de l’adaptation du droit du travail à notre monde qui change sous l’effet des nouvelles technologies, l’informatique et internet bien entendu, et puis les esprits dans leur rapport avec ces outils professionnels et donc avec le travail et les modes de vie, où se côtoient deux types de travail, le traditionnel, encore majoritaire, et le moderne.
LES PROBLÈMES PORTENT DAVANTAGE SUR LE FOND QUE SUR LA FORME.
Les problèmes actuels n’ont à vrai dire pas grand-chose à voir avec l’épaisseur du Code du travail :
- Notre système de sécurité sociale est à bout de souffle.
- Le système des retraites défaillant (l’AGIRC va-t-elle disparaître en 2016 ?),
- La formation se cherche encore,
- Notre fiscalité est archaïque,
- Le mode d’exercice du contre-pouvoir syndical est dépassé,
- Les aides à l’emploi tournent en rond et sont plus proches de l’assistanat (des salariés comme des entreprises) que de l’insertion (cf. rapport récent), le contrat de génération ne décolle pas, le CUI a du s’équiper d’un « starter ».
- Le dumping social est un fléau,
- Les changements continuels, et souvent inopinés, des règles est déstabilisant, etc.
Le nombre important des articles dans le Code du travail se gère très bien, s’ils sont bien organisés , et surtout si la règle est simple à mettre en place et adaptée aux besoins des entreprises et des salariés. Les outils actuels de traitement de l’information permettent de traiter efficacement la quantité d’informations. Je peux témoigner que les outils internet de mise à jour et de recherches de la documentation juridique professionnelle sont très efficaces. Il est certes souhaitable de maîtriser la quantité de texte, d’éviter le mille-feuille législatif, de contenir l’inflation législative et administrative, d’améliorer son organisation et sa présentation, mais fondamentalement c’est le contenu qu’il faut travailler plus dans un souci d’allègement et de simplification que de suppression pure et simple sous le prétexte démagogique que 100 articles c’est forcément mieux que 1000.
Sur un autre sujet d’actualité, celui de la réforme fiscale, ce n’est pas la quantité d’impôts et de taxe qui est le premier problème, mais leurs assiettes et montants.
Ou, autre actualité cyclique, sur la simplification du bulletin de paie, ce n’est pas la quantité de ligne sur le bulletin de paie qui pose problème. Le fait de regrouper 20 lignes en 5 ne va pas simplifier le bulletin de paie. Ce sont les règles de calcul de la paie et des cotisations (peu importe leur nombre) qu’il faudrait simplifier : la CSG déductible, non déductible, la GMP, l’assujettissement des cotisations patronales de prévoyance, le non-alignement des assiettes fiscales et sociales, etc.
Cela fait maintenant depuis longtemps que l’informatique gère la quantité, la difficulté demeurant celle du paramétrage. Quelles règles de calcul appliquer dans telle ou telle circonstance ? Comment l’appliquer ? Exemple : la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires, dite Fillon, est devenue plus compliquée cette année, avec cumul d’une réduction partielle de la cotisation patronale d’allocations familiales en fonction du montant du salaire avec régularisation mensuelle progressive…
En tant que praticien, j’ai souvent plus de difficultés à appliquer la convention collective ou les accords d’entreprise que les dispositions du code du travail. Sous le quinquennat Sarkozy, il y a bien eu des simplifications, notamment en matière de durée du travail en 2008 (sans compter la très bonne idée de la défiscalisation des heures sup.), mais encore rarement appliquées tant les accords de branche et d’entreprise n’ont pas évolué. La grande majorité des accords collectifs sur le temps de travail datent des années 1999-2002 à l’époque du passage à 35 heures avec les rigidités des réformes du temps de travail par Martine Aubry.
Sait-on que les heures supplémentaires sont encore dans la quasi-totalité des cas majorées de 25 % alors que le Code du travail autorise une majoration de 10 % ?
Les règles actuelles de rémunération datent encore des années 30. Or, il faudrait imaginer des modes de rémunération complémentaires plus basés sur les objectifs et les résultats, avec moins de charges, tout du moins à partir de certains seuils. L’intéressement des salariés n’est utilisé que dans 10 % des petites et moyennes entreprises.
Enfin, il me semble qu’en réalité, le sujet essentiel de crispation porte sur le droit pour l’employeur de licencier plus facilement (comme c’est celui à la base du « contrat unique »). C’est ce sujet qui intéresse la présidence du MEDEF. Il est exact que les règles actuelles sont à améliorer, et que le plafonnement des dommages-intérêts allait dans le bon sens. Mais je suis vraiment stupéfait par les représentants patronaux qui stigmatisent le Code du travail, alors qu’ils signent des conventions collectives et des accords nationaux interprofessionnels, complexes et coûteux. Par exemple : le délai de carence d’indemnisation en cas de maladie est de 7 jours dans le Code du travail, or il est souvent de 0 jour ou de tout au plus 3 jours dans les conventions collectives.
IL NE FAUT PAS LAISSER LE CONVENTIONNEL PRÉDOMINER SUR LA LOI.
Le droit du travail est déjà basé pour beaucoup sur le paritarisme des « partenaires sociaux ». Les règles du Code du travail sont souvent la transcription des ANI signés par le patronat. Alors soit les entreprises assument leurs signatures et ses usines à gaz, soit elles changent de cap. La situation actuelle pose ainsi la question de la capacité des entreprises à produire de la norme juridique.
Il est actuellement très tendance de critiquer le Code du travail, autrement dit le pouvoir législatif, et de louer le droit conventionnel qui branche par branche, et même entreprise par entreprise, pourrait se substituer au Code du travail. Même le très correct et respecté Terra Nova vient de s’y mettre…
Or, une telle évolution pourrait présente beaucoup plus d’inconvénients que de progrès social :
- aucune garantie sur la simplification du droit du travail,
- une inégalité, plus importante qu’aujourd’hui suivant les branches et les entreprises, voire les départements. Le champ d’application des conventions collectives peut être professionnel et géographique avec des conséquences sur l’emploi,
- une inégalité suivant les tailles des entreprises : le poids des grandes entreprises dans les accords de branche est notoire. Ce n’est pas le petit commerce qui voulait « libéraliser » le travail du dimanche…,
- un droit du travail anarchique : illisible car mal écrit, et préjudiciable aux salariés.
Le contre-pouvoir syndical est indispensable même s’il faudrait l’améliorer, mais aurait-il à terme la capacité de jouer pleinement son rôle ? Autrement dit, la démocratie directe est-elle vertueuse ?
IL FAUT ACCORDER À L’ÉTAT ET AU POUVOIR LÉGISLATIF UN POUVOIR FORT DE RÉGULATION.
Je crois, en droit du travail comme dans d’autres matières, qu’il faut accorder à l’État et au pouvoir législatif un pouvoir fort de régulation. Il faut lui reconnaître le pouvoir d’exercer une sagesse supérieure au-dessus des intérêts individuels (on ne doit pas gouverner par sondage, ou on ne devrait pas…).
Serait-il raisonnable de confier à l’industrie alimentaire et à la grande distribution la sécurité sanitaire de nos aliments ? L’équilibre des intérêts et des pouvoirs est une chimie complexe. Le pouvoir que confère la puissance économique est-il irrémédiablement vertueux ?
Le droit du travail, et en général celui des affaires, est indissociable des enjeux économiques. Or, une inversion de la hiérarchie des normes pourrait entraîner une fragilisation du droit du travail et du marché du travail, avec un risque d’inflation des conflits, contentieux ou sociaux, c’est un paramètre qu’il faut intégrer dans cette réflexion.
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