LA STRATÉGIE NATIONALE DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR NE PREND PAS EN COMPTE DE L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES ÉTUDIANTS.
La loi pour l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013 a prévu de définir une « Stratégie Nationale de l’Enseignement Supérieur (StraNES) », précisant les objectifs nationaux pour les 10 ans à venir et proposant les moyens de les atteindre. Parallèlement est élaborée une Stratégie Nationale de Recherche (SNR). La version définitive du rapport StraNES[1] propose 5 axes stratégiques[2], 3 leviers[3] et 40 propositions. Ces propositions pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur font l’objet d’une présentation aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant d’être arrêtées définitivement.
La liste des propositions de StraNES fait apparaitre la très faible prise en compte de l’insertion professionnelle des étudiants et des jeunes diplômés.
Le rapport apparait comme en rupture avec la démarche antérieure qui fixait l’insertion professionnelle comme une mission principale à la fois des universités et des enseignants chercheurs.
LE PROJET D’AUGMENTATION DES EFFECTIFS DIPLÔMES NE RÉPOND À AUCUN BESOIN ÉTAYÉ EN MATIÈRE DE QUALIFICATIONS ET D’EMPLOIS.
D’une part, le rapport propose une nouvelle augmentation des effectifs étudiants et diplômés[4] : il s’agit d’atteindre un taux de 60 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans une classe d’âge[5] (Proposition 1).
Cette ambition traduit les vœux des établissements de grossir en taille, en budget et en influence, elle ne repose au aucun cas sur les besoins économiques actuels ou une quelconque prospective. Cette approche quantitative ne comporte aucune précaution qualitative visant à assurer des diplômes de qualité.
D’autre part, le rapport préconise d’« augmenter le nombre des docteurs et développer l’emploi scientifique dans les secteurs économique et administratif » (Proposition 4)[6]. Pour l’accès à emploi des docteurs, qui pose de graves problèmes surtout dans certaines disciplines, il est question de « Conditionner l’octroi du CIR à l’embauche de nouveaux docteurs à travers un système de bonus-malus pour développer l’emploi des docteurs dans les entreprises » et d’ « adapter les concours et les procédures de recrutement dans les corps et cadres d’emploi de catégorie A de la fonction publique pour les titulaires du doctorat ». Ces pistes sont loin d’être sérieuses, si elles fonctionner cela ne sera qu’à la marge des effectifs de docteurs. Les docteurs ont naturellement des débouchés au niveau des postes d’enseignants-chercheurs dans les universités ou de chercheurs dans des organismes de recherche (CNRS, INRA, INSERM, etc.) et également dans des établissements d’enseignement supérieur privés ou de recherche propres aux entreprises. Cette capacité d’embauche annuelle des docteurs est saturée en l’état actuel du marché du travail public et privé.
D’une manière plus générale, le rapport propose de « Prolonger et amplifier le plan de créations d’emplois dans l’enseignement supérieur et la recherche »[7] ; ce qui ne semble pas vraiment en phase avec les évolutions des lois de finances 2016 et 2017.
LE RAPPORT FAIT LE CHOIX D’INSTAURER UNE SÉLECTION À L’ENTRÉE EN CYCLE DE MASTER
Pour « sécuriser les parcours de formation à l’université » (Proposition 15[8]) le rapport préconise de :
- « Favoriser l’insertion professionnelle après la Licence en développant les licences professionnelles articulées avec les parcours des licences générales, ainsi que l’acquisition de compétences transversales et transférables »,
- « Assumer le Master comme un diplôme en deux ans : supprimer la sélection entre le M1 et le M2 et, après concertation, mettre en place, pour les formations en tension, un dispositif de régulation au bénéfice de la réussite étudiante dans des formations de qualité ».
Dans le contexte d’une augmentation du nombre de diplômés, ces orientations conduiraient à accroitre les sérieuses difficultés d’accès à l’emploi après la Licence, sachant que la multiplication du nombre de diplômés des licences professionnelles ne constitue pas une solution, sauf dans quelques rares cas.
L’accès à l’emploi post master 2 marque déjà sérieusement le pas, avec la multiplication du nombre de diplômes délivrés, l’hétérogénéité de la qualité de ces diplômes et leur correspondance très variable par rapport aux emplois existants. À ce jour, la « production » de master2 d’université ou d’école est très largement supérieure aux besoins du marché du travail comme le prouvent les chiffres d’insertion professionnelle : durée d’accès à un emploi en CDI, proportion de déqualification des postes, fréquence de bas niveau de salaires, etc. (se reporter à la dernière étude de l’APEC).
LE RAPPORT PRÔNE UN DÉVELOPPEMENT DE L’ALTERNANCE ET DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
Le rapport préconise d’ « inciter les entreprises à investir dans l’enseignement supérieur et mieux orienter les fonds de la formation professionnelle vers le supérieur » (proposition 37)[9]. Cet objectif est repris dans plusieurs propositions avec un objectif de « conquête » de 10% du marché de la formation professionnelle d’ici à 2025 (contre les 3,1% du marché actuellement).
En 2013, 130 000 apprentis étaient inscrits dans une formation de l’enseignement supérieur. Le rapport prône le développement de l’alternance avec un objectif de 165 000 étudiants en apprentissage par an d’ici 2020, et 200 000 par an d’ici 2025.
Mais, la motivation de ces propositions est de permettre aux universités de diversifier leurs financements.
L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES ETUDIANTS EST NÉGLIGÉE PAR StraNES.
La démarche générale à mener en faveur de l’insertion professionnelle des étudiants n’est pas assurée par le rapport StraNES. Les propositions du rapport ne traite pas des stages et de leur gestion, des services d’orientation et de préparation à l’insertion professionnelle, de la participation des professionnels à l’enseignement et la vie des établissements, etc.
L’intérêt des étudiants est négligé au profit de la seule logique de vie et de développement des établissements universitaires. La logique d’organisation l’emporte sur l’intérêt de l’étudiant.
[1] Les propositions pour la stratégie nationale de l’enseignement supérieur font l’objet d’une présentation aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant d’être arrêtées définitivement.
[2] 5 axes stratégiques : Construire une société apprenante et soutenir notre économie, Développer la dimension européenne et l’internationalisation de notre enseignement supérieur, Favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion, Inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle et Répondre aux aspirations de la jeunesse.
[3] 3 leviers : Dessiner un nouveau paysage pour l’enseignement supérieur, Ecouter et soutenir les femmes et les hommes de l’enseignement supérieur et Investir pour la société apprenante et adapter les financements aux besoins
[4] Axe stratégique 1 « Construire une société apprenante et soutenir notre économie ».
[5] Selon les données 2014, 44 % des jeunes d’une classe d’âge obtiendraient un diplôme de l’enseignement supérieur.
[6] 14 600 Doctorats auraient été délivrés en 2013 ; Il s’agirait de « former 20 000 docteurs par an, dont 12 000 Français, d’ici 2025 », soit une augmentation d’un tiers du nombre actuel.
[7] Proposition 32 : « Intégrer les objectifs de la StraNES dans le cadre de la politique d’emploi scientifique ».
[8] Axe stratégique 3 : « Favoriser une réelle accession sociale et agir pour l’inclusion ».
[9] Il suffirait pour cela d’« orienter 0,25 % de la masse salariale des entreprises vers les formations d’enseignement supérieur (niveaux I, II et III), inciter les régions à soutenir les formations de ces niveaux ».
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