COMMENT « LA LUTTE CONTRE L’EXCLUSION » EST DEVENUE L’« INCLUSION » ?
Un récent rapport concernant la politique de l’emploi du gouvernement s’intitule « DONNONS-NOUS LES MOYENS DE L’INCLUSION »[1]. Le terme « inclusion » était jusqu’à présent peu usité dans ce contexte du moins. Il est issu du latin inclusio (« enfermement ») et remonterait au XIIe siècle. Le terme est employé avec des sens différents dans divers domaines[2].
La mission qui avait été confiée au rapporteur concernait « l’innovation sociale au service de la lutte contre l’exclusion »[3], force est de constater que la « lutte contre l’exclusion » s’est transformée en « inclusion ».
Certes, à y regarder de plus près le terme d’ « inclusion sociale » a pu être utilisé par des sociologues[4], mais il était jusqu’à présent pas, à ma connaissance du moins, dans le champ de l’emploi.
Les termes proches d’« inclusion » sont « assimilation » ou « intégration sociale » ; le contraire est l’« exclusion sociale ». L’expression « insertion professionnelle » a été abandonnée dans ce Rapport dans la mesure où l’insertion ne porterait que sur l’entrée dans l’emploi, mais pas sur la suite du parcours… c’est une manière de jouer avec les mots.
LA MOBILISATION DU VOCABULAIRE APPARAIT AVOIR UNE VOCATION D’EMBALLAGE D’UN PROJET BIEN LIMITÉ
L’emploi du terme inclusion n’est pas neutre hors de son utilisation dans les échanges ou des débats entre sociologues. Dans le discours développé dans ce rapport concernant en fait les « emplois aidés », plusieurs autres mots à découvrir viennent illustrer le propos ; citons par exemple l’« employeur apprenant » ou l’« employeur-abilité ».
« On ne peut donc parler d’employabilité sans lui adjoindre « l’employeur-abilité », la capacité à employer, qui n’est pas naturelle à toute entreprise, et s’apprend. » (Synthèse du rapport Borello).
Ce vocabulaire semble là pour donner un emballage à des propositions peu novatrices visant à cumuler : emploi, accompagnement, formation et tutorat de personnes éloignées de l’emploi. Comme cela fut le cas dans de nombreux programmes d’emplois aidés antérieurs.
Tout au plus le rapport insiste sur le contrôle de l’effectivité de la mobilisation de la formation, ce qui est naturellement une bonne chose, mais au total rien de vraiment nouveau.
Par ailleurs, ces mesures concernent des effectifs faibles (200 000 au lieu de 460 000) et un niveau d’aide réduit, suite à l’adoption d’un budget réduit dans la loi de finances 2018.
Le rapport veut introduire une dimension idéologique, voire surréaliste : « Dans certains territoires, ce ne sont pas les personnes qui sont éloignées de l’emploi, mais l’emploi qui est éloigné des personnes. ». Cela ressemble encore à de l’habillage.
LA NOUVELLE POLITIQUE EMPLOI MÉLANGE DES EMPLOIS AIDÉS DE NATURE DIFFÉRENTE
Le rapport mélange deux domaines jusqu’alors distincts :
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d’une part, le domaine de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE)[5] et
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d’autre part, l’emploi de salariés en emploi aidé, dans des structures d’accueil de diverses natures, principalement associatives.
La différence, de prise en compte des contrats aidés, entre les deux secteurs est sérieuse.
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L’objet des associations, ou entreprises, d’insertion par l’activité économique ont pour objet même le travail de personnes éloignées de l’emploi, pendant une période temporaire au moins. Leur activité tient à la gestion de ces personnels, etc. parallèlement à la recherche d’activités pérennes …
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Les autres employeurs non marchands qui accueillent des emplois aidés (associations, établissements publics) ont chacun un objet social différent. Ils accueillent des salariés en contrats aidés sur certaines fonctions dans le cadre de leurs activités[6]. Leur objet social n’est pas de faire travailler des salariés éloignés de l’emploi, mais ils participent à ce système de soutien dans la mesure où leur objet n’est pas de dégager des marges. L’attribution d’emplois aidés peut être considérée comme un soutien ,ou en quelque sorte une « subvention », à une association.
Le rapport propose de privilégier l’insertion par l’activité économique.
« Le rapport propose de s’intéresser au potentiel inexploité du secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE), porteuse d’innovations sociales depuis plus de 40 ans.[7] »
C’est sans doute une bonne piste que de développer l’IAE, mais la question est de savoir si les conditions financières accordées par l’État seront au rendez-vous pour le permettre, ce qui reste à évidemment à démontrer…
Les financements de l’IAE et des emplois aidés pour les « parcours emploi compétences » ont été fusionnés en 2018[8]. Une priorité locale donnée à l’IAE pourrait l’être au détriment des effectifs de contrats aidés accueillis dans les associations[9]…
L’importante réduction des moyens budgétaires décidée pour 2018 limitera, de toute manière, les perspectives d’emploi des personnes en difficulté dans le cadre d’emplois aidés.
[1] Rapport de Jean-Marc Borello avec le concours de Jean-Baptiste Barfety, IGAS -janvier 2018.
[2] Le terme « inclusion » s’applique dans divers domaines : Insecte, fleur, petit objet quelconque conservé dans un bloc de matière plastique transparente. Biologie. Mathématiques. Métallurgie. Minéralogie (Corps étranger (solide [cristallisé ou vitreux], liquide ou gazeux) contenu dans la plupart des cristaux et des minéraux). Odontologie (État d’une dent qui reste contenue dans le maxillaire…). Verrerie (hétérogénéité due à la présence d’un corps étranger dans le verre.
[3] Lettre du 5 septembre 2017 de mission de la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud
[4] Le concept d’« inclusion sociale » a été utilisé par le sociologie Niklas Luhmann (1927-1998) pour caractériser les rapports entre individus et systèmes sociaux. Il a réservé le terme d’« intégration » aux rapports entre systèmes.
[5] L’insertion par l’activité économique (IAE) est un accompagnement dans l’emploi proposé par certaines structures à certaines personnes très éloignées de l’emploi afin de faciliter leur insertion sociale et professionnelle. L’IAE s’adresse aux personnes particulièrement éloignées de l’emploi, notamment : chômeurs de longue durée, personnes bénéficiaires des minimas sociaux (RSA…), jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté ou travailleurs reconnus handicapés. L’IAE suppose la signature d’un contrat de travail spécifique avec une structure spécialisée en insertion sociale (contrat renouvelable dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre mois). Il peut s’agir d’Entreprise d’insertion (EI), d’Entreprise de travail temporaire d’insertion (ETTI), d’Ateliers et chantiers d’insertion (ACI) ou d’Association intermédiaire (AI).
[6] Pour donner exemple, une association positionne des personnes en emploi aidé sur des postes fonctionnels d’agents d’accueil ou d’assistance administrative, alors que ces activités même mobilisent des personnels qualifiés.
[7] « Un pacte d’ambition pourrait donc être passé avec le secteur, pour assurer son développement et sa performance, et pour qu’il embauche 25 000 personnes de plus par an. Il est aussi proposé d’adjoindre une aide publique aux contrats de professionnalisation pour permettre l’accès à une professionnalisation accélérée à certains publics, moyennant leur accompagnement. Ces dispositifs ainsi rénovés ne doivent plus être vus comme une charge pour la nation, mais comme un investissement social, pour combler la dette sociale que nous avons envers les personnes exclues du marché du travail. Permettre à chacun de contribuer à l’activité productive de la nation ne peut être que collectivement rentable. »
[8] « La principale proposition du rapport consiste en la création d’un « fonds d’inclusion dans l’emploi », dont la souplesse d’utilisation doit permettre aux préfets de région de mobiliser les aides à l’accès ou au retour à l’emploi en fonction des réalités du terrain. »
[9] « … le rapport propose de passer d’une quantité de « contrats aidés » à des « parcours emploi compétences » de qualité, car limités à des « employeurs apprenants » capables d’inclure, d’accompagner, et d’envoyer en formation leurs salariés. »
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