Des programmes présentés dans le cadre de la campagne des Européennes de 2019 évoquent la question de l’emploi. Cet article compare les propositions des trois listes données par les sondages comme en tête (plus de 10% des intentions de vote)[1] : LR, LREM-MoDem et RN.
Le sujet de l’emploi n’entre a priori pas dans les compétences de l’Union européenne.
Pour la France, la politique de l’emploi relève, aujourd’hui, de la seule compétence nationale.
SEUL LE SUJET DES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS EST DU RESSORT D’UNE DIRECTIVE DE L’UE.
Dans le programme des « Républicains »[2], la « Proposition 50 » est consacrée à ce sujet. Elle vise à « Faire cesser le dumping social au sein de l’UE[3] », c’est-à-dire aligner les salaires et cotisations sociales sur celles des travailleurs français.
Le programme de la majorité (LREM-MoDem)[4] exprime sous une autre forme à peu près la même position en appelant à « Finaliser la lutte contre le dumping social avec un acte II de la réforme du travail détaché.[5] »
Il s’agit d’un changement de position, dans la mesure où le gouvernement s’était déclaré satisfait du compromis européen obtenu qui doit entrer en vigueur en 2020. La ministre du Travail vient d’ailleurs finalement d’admettre récemment dans un entretien que, le compromis obtenu ne suffisait pas[6].
Les positions de LR et de LREM-MoDem semblent converger.
Le programme du Rassemblement national (RN)[7] partage le même le diagnostic[8], mais il va plus loin en proposant d’abroger « la directive sur le travail détaché qui s’apparente à une véritable préférence étrangère ». Cette proposition reviendrait à interdire tout simplement le travail détaché.
On constate une convergence des positions des trois programmes vers une fin du statut de travailleurs détachés.
Ces propositions n’apparaissent pas faciles à concrétiser dans le cadre de l’UE, quand on se rappelle de la récente négociation et du compromis obtenu (excluant les chauffeurs routiers, imposant des délais, etc.).
Reste donc la seule question de la fraude au travail détaché qui reste de la compétence des États membres et de leur coopération éventuelle. C’est le sujet en cours de traitement.
L’ADOPTION D’UN SALAIRE MINIMUM DANS TOUS LES PAYS DE L’UNION FAIT DÉBAT.
Le programme LREM-MoDem propose de « Mettre en œuvre un salaire minimum adapté à chaque pays européen pour limiter la concurrence par les bas salaires et garantir un revenu de vie décent. » et propose des sanctions : « L’accès aux fonds européens dépendra de la mise en place de ces salaires ».
Le programme du RN s’oppose à cette proposition et appelle à « Refuser les alignements sociaux et fiscaux qui ne peuvent se faire qu’au détriment des Français.[9] » En fait, le programme du RN laisse penser que le salaire minimum serait le même dans tous les pays, ce qui n’est pas du tout la proposition faite.
Le programme de LR n’aborde pas cette question.
Il est vrai que le droit du travail, la politique salariale et le domaine social restent, a priori, du ressort national et non européen. L’hétérogénéité est telle entre pays que le projet consistant à vouloir « donner aux entreprises et aux travailleurs les mêmes règles fiscales et sociales » (LREM-MoDem) semble totalement irréaliste. Le titre du chapitre : « Nous protégerons les travailleurs et les plus vulnérables grâce à un bouclier social » semble peu sérieux compte tenu des compétences de l’UE. Cette formule apparait comme un slogan électoral.
L’ATTRIBUTION DES FONDS EUROPÉENS SUR CERTAINES ACTIONS D’ACCOMPAGNEMENT VERS L’EMPLOI MÉRITERAIT UN EXAMEN.
Par contre, quand le programme LREM-MoDem demande de « Préserver les aides européennes destinées aux plus précaires : banques alimentaires et initiatives pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi » (fonds européens, FSE, etc.) cela apparait, comme une question très pertinente.
Les sujets concernés par ces aides ne sont-ils pas, en fait, du ressort des États ? Le mécanisme de l’attribution des fonds et les délais de transmission de ces fonds sont-ils bien efficaces ? Le contrôle de la réalisation des actions n’est-il pas à la fois trop lourd et injuste ?
DES CHOIX DE L’UE EN MATIÈRE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE IMPACTENT INDIRECTEMENT L’EMPLOI.
Ces questions sont donc abordées dans les programmes au niveau des choix économiques et financiers.
Par exemple, la question du recadrage des règles de la concurrence est partagée par les trois programmes. Les termes sont différents, mais le souci évoqué semble bien le même.
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LR dans sa « Proposition 52 » parle de « Transformer radicalement la politique européenne de concurrence.[10] » (…) « L’Europe qui combat la concurrence déloyale et qui défend son industrie » (LR).
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Le programme LREM-Modem parle de « mettre fin à la concurrence déloyale en Europe. »
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Le programme du RN souhaite « Stopper la concurrence déloyale et instaurer le juste échange ».
Par ailleurs, le RN propose que la banque Centrale européenne (BCE) prenne en compte la lutte contre le chômage[11] :
« La BCE pourrait également se voir assigner le mandat explicite de combattre le chômage, comme c’est le cas de la Fed aux États-Unis. »
Le programme de LR promeut le fait que l’UE « se consacre en priorité à quelques grands programmes stratégiques, utiles pour nos emplois ».
Autre exemple, la « proposition 37 » de LR qui vise à « Créer un droit permettant de réserver 50% de nos marchés publics aux entreprises locales, particulièrement les PME » aurait un impact sur l’emploi.
L’emploi apparait juste en filigrane de ces propositions.
SEUL LE PROGRAMME LREM-MODEM RENVOIE SUR L’UE POUR ACCOMPAGNER LES TRAVAILLEURS DONT L’EMPLOI SERAIT VICTIME DES MUTATIONS
Sous le titre « Nous accompagnerons les travailleurs face aux mutations », le programme LREM-MODEM propose trois mesures :
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« Instaurer une Garantie Zéro Chômage[12]»,
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« Aider jusqu’à 20 000 euros chaque travailleur dont l’entreprise est touchée par les transformations numériques et écologiques pour qu’il puisse se reconvertir » et
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« Créer de nouveaux droits et protections pour les 3 millions de travailleurs de plateforme, comme Uber ou Deliveroo (accidents du travail, assurance maladie, formation…)».
Sans en discuter le bien fondé, ces mesures d’accompagnement, des salariés ou indépendants, ne semblent pas du tout être du ressort de l’Union européenne, mais bien de celui des politiques nationales[13].
De telles décisions impliqueraient des budgets très importants et, donc, une hausse de fiscalité européenne significative.
Pour prendre un exemple, le statut des travailleurs des plateformes est déjà traité : pays par pays, voire ville par ville. Il semble peu probable que cette question puisse être centralisée et pour être traitée globalement ; espérer un accord des pays de l’UE, cela parait totalement utopique. Même si on peut rêver d’une réponse commune à un interlocuteur unique comme Uber.
L’échec récent d’un accord, au sein de l’UE, sur la taxation des géants du numérique (taxation des GAFA) illustre la difficulté à faire aboutir ce type de projet.
Enfin, si la proposition de mettre fin à la règle de l’unanimité pour les décisions relatives à la fiscalité (proposition LREM-Modem) était adoptée, cela reviendrait à un éclatement de l’Union européenne.
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La concrétisation de changements presque « consensuels » au sein de l’Union européenne concernant les travailleurs détachés, l’harmonisation des statuts des travailleurs ou le changement des règles de la concurrence semble a priori difficile à faire déboucher dans le contexte actuel, sauf surprise !
[1] Des programmes proposés par d’autres listes, dont le score attendu se situe entre 5 et 10%, aurait pu être commentés, mais ne le sont pas faute de place dans le cadre de ce Billet. Tout commentaire pourra être fait par les lecteurs à ce propos. Les trois premières listes devraient cumuler près de 60% des suffrages et 75% des élus, d’après les sondages.
[2] « POUR LA FRANCE, TRANSFORMER L’EUROPE » – https://www.republicains.fr/sites/default/files/2019-03/2019-03-26-lR-elections-europeennes-projet.pdf
[3] Il s’agit de :
- « Défendre une vraie révision de la directive sur les travailleurs détachés, pour faire cesser le dumping social au sein de l’Union européenne.
- Réviser le règlement européen sur les systèmes de sécurité sociale : les travailleurs détachés doivent payer les cotisations sociales du pays dans lequel ils travaillent.
- Porter une révision ambitieuse des règles du transport routier européen, pour mettre un terme à la concurrence déloyale dans ce secteur.
- Renforcer l’arsenal de contrôle et de sanction des structures spécialisées dans le détachement des travailleurs. »
[4] Programme de la Liste « Renaissance »
[5] « À travail égal, salaire égal et coût du travail égal : les cotisations sociales seront alignées sur le niveau le plus élevé. Il faudra aussi intensifier la lutte contre les fraudes grâce à la nouvelle Autorité européenne du travail. » LREM MODEM
[6] La Ministre du travail précise : « Quant à la directive « travailleurs détachés », que nous avons obtenue de haute lutte, sa transposition sera effective en 2020. Elle impose : à travail égal, salaire égal. Cela va limiter une partie du dumping social. Nous devons aller plus loin. »
« Comment ? »
« Ce qui manque encore, c’est à travail égal, cotisations égales. L’idée est que l’employeur s’aligne sur les cotisations du pays le mieux disant. Le différentiel, à la hausse, irait à un fond qui permettrait aux pays concernés d’élever le niveau de leur protection sociale. Il faut construire une Europe dont le progrès social est un levier et pas une Europe du dumping social. »
[7] « POUR UNE EUROPE DES NATIONS ET DES PEUPLES » – https://rn-europeennes.fr/wp-content/uploads/2019/04/europeennes-projet.pdf
[8] « Le marché unique européen est devenu le prétexte à une véritable concurrence déloyale » (…) « En effet, le coût de revient d’un travailleur d’Europe de l’Est est très inférieur à celui d’un salarié français en raison principalement du paiement des cotisations sociales dans le pays d’origine. Ce système constitue une injustice d’autant plus insupportable qu’un chômage de masse frappe la France.» – RN
[9] « Dans leur démarche de fédéralisme à marche forcée, les eurocrates au nom d’une prétendue « harmonisation sociale » veulent instaurer des règles communes pour le salaire minimum. Le SMIC se situant par exemple à 280 euros bruts en Roumanie et à 1 500 euros bruts en France, cette harmonisation aboutirait en pratique à l’effondrement des salaires et donc du pouvoir d’achat dans les pays d’Europe occidentale. Mme Loiseau, la tête de liste LREM, défend l’idée d’un SMIC européen : il faudrait qu’elle en explique aux Français les conséquences qui en résulteraient sur leur niveau de vie ! » – RN
[10] « Cette politique doit cesser d’être un frein à la constitution de champions européens mais s’adapter aux priorités industrielles de l’Union :
- Établir une liste de secteurs stratégiques (environnement, énergie, défense, numérique…) dérogatoire des règles de la concurrence européenne, pour permettre l’émergence de leaders continentaux performants à l’échelle mondiale (sur le modèle d’Airbus).
- Donner aux États membres la possibilité de faire appel des décisions de la Commission européenne en matière de politique de concurrence, et leur laisser le choix final pour affirmer leurs stratégies industrielles.
- Engager une réforme des plafonds d’intervention publique pour les régions, pour soutenir durablement les acteurs économiques des territoires, en relevant notamment le plafond d’aides aux PME. » – LR
[11] « Intégrer la lutte contre le chômage dans le mandat de la BCE » – RN
[12] « Pour que personne ne renonce à une formation ou à des études pour des raisons financières. Chacun pourra être financé jusqu’à 15 000 euros s’il souhaite se former pour sortir du chômage ou continuer ses études. Le bénéficiaire ne sera tenu de rembourser le montant que si ses revenus à l’issue de la formation sont suffisamment élevés. » – LREM-MoDem
[13] Les budgets découlant de ces mesures seraient très importants une fois mesurée, et comment, « l’impact des mutations ».
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