PRÈS DE LA MOITIÉ DES 2,6 MILLIONS D’ÉTUDIANTS (46%) TRAVAILLENT DURANT LEURS ÉTUDES.
Cela peut être régulièrement ou ponctuellement, pour des raisons impératives (logement, nourriture, habillement) ou pour des raisons liées à leurs loisirs (sorties, voyages, etc.)[1], et parfois les deux. Au-delà d’un certain volume travaillé, ils deviennent des travailleurs poursuivant des études ! La frontière reste assez floue compte tenu de l’irrégularité du travail effectué.
Des études montrent que le travail étudiant commence à avoir des effets négatifs sur la réussite universitaire au-delà d’un certain seuil. Travailler 8 heures par semaine (le samedi par exemple) ne pose généralement pas de problème, mais au-delà de deux jours le cursus est impacté.
Par rapport aux emplois classiques concrétisés par des contrats de travail généralement en CDD et à temps partiel, des plateformes collaboratives montent en charge progressivement, depuis trois ans, sans qu’il soit possible de quantifier leur impact[2].
PLUSIEURS APPLICATIONS EN LIGNE PROPOSENT DES MISSIONS AUX ÉTUDIANTS
Plusieurs applications[3] en ligne proposent aujourd’hui des missions aux étudiants. La particularité tient au statut des jeunes qui doivent être autoentrepreneurs. Le statut d’indépendant conduit à être rémunéré à la tâche, dans la limite d’un certain montant gagné chaque année. L’étudiant est directement payé par la plateforme qui prend une commission sur la vente de la prestation[4].
De nombreuses entreprises ont recours aux plateformes pour mobiliser des autoentrepreneurs étudiants comme Aramisauto, Etam, Fauchon, Frichti, Geox, Lancel, Leclerc, Leroy Merlin, Okaidi, Point P, Sodexo, Truffaut, etc.
Des plates-formes se sont constituée assurent l’intermédiation entre des entreprises et des jeunes en statut d’autoentrepreneurs pour réaliser des missions ponctuelles. Ces missions sont proposées à des « prestataires », les étudiants doivent donc s’inscrire comme autoentrepreneurs. Les sites leur apportent les informations pour réaliser leur déclaration d’activité indépendante. Puis, ils assurent la facturation et le paiement des services aux jeunes moyennant une commission.
DES ÉTUDIANTS TRAVAILLENT SUR DES POSTES QUI ANTÉRIEUREMENT ÉTAIENT OCCUPÉS PAR DES SALARIÉS.
Certains services aux particuliers sont traditionnellement réalisés ponctuellement par des jeunes indépendants, c’est le cas du babysitting, des cours à domicile, de la garde d’animaux de compagnie, etc. effectués par des étudiants.
Mais les métiers proposés par les plateformes sont d’une autre nature puisqu’il s’agit de postes de caissiers, de gestionnaires de stocks, de préparateurs de commandes, de vendeurs, de réceptionnistes, de serveurs, de manutentionnaires, d’employés libre-service, etc. Ce sont « traditionnellement » des emplois salariés et non du ressort du travail indépendant.
Les plateformes qui substituent des formes d’emploi à d’autres, sans créer d’activités nouvelles, pourraient être inquiétées. Mais cela n’est pas le cas compte tenu de l’attitude de laissez-faire du ministère du Travail[5].
Les raisons en sont probablement diverses et peuvent être amenées à changer. Les entreprises et les plateformes courent un réel risque juridique, par rapport aux Urssaf, aux entreprises d’intérim court-circuitées par les plateformes, à l’inspection du travail si elle se saisissait de ce sujet, etc.
La relation entre les trois parties prenantes, plateformes, étudiants et entreprises, constitue un montage fragile, car objectivement construit pour contourner la signature d’un contrat de travail et fournir des travailleurs « moins chers ».
Les entreprises de travail temporaire protestent contre une concurrence déloyale. Elles considèrent que les favorise le travail dissimulé. L’organisation patronale, Prism’emploi[6], encourage à faire respecter la réglementation. Des procédures ont été engagées. Mais la décision revient évidemment au ministère du Travail.
« Derrière ces interfaces ludiques se cachent des machines à déréguler le marché du travail » – Isabelle Eynaud-Chevalier, Prism’emploi
DES ÉTUDIANTS TROUVENT LEUR COMPTE À VENDRE DES PRESTATIONS, À TORT OU À RAISON
Beaucoup d’étudiants sont favorables à cette formule en raison de la souplesse offerte pour obtenir un travail avec son smartphone, quand on veut et quand on peut, sans du temps à le chercher. De plus, les étudiants bénéficient des avantages du statut d’autoentrepreneur, notamment, pendant trois ans, d’allègements de cotisations, etc.
Mais, s’ils bénéficient toujours de la protection santé étudiante, ils ne bénéficient pas des règles du Code du travail, de droits à retraite, d’une indemnisation en cas de chômage ou d’accident du travail…
Ce sujet fait l’objet d’études :
« Ces étudiants ne sont pas des travailleurs comme les autres. Ils ne recherchent ni un temps plein ni un statut protecteur, ils ne se projettent pas dans ces jobs qui restent souvent alimentaires » – Marie Trespeuch (université Paris Sorbonne) [7]
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Ces plateformes peuvent étendre leurs activités en termes de publics non étudiants, plus âgés et ouverts à de nouveaux secteurs ou fonctions (commerce, logistique, santé ou enseignement).
En cas de hausse des cotisations sociales (bonus-malus annoncé) des contrats courts, elles auront l’opportunité de se développer pour prendre la place des contrats de travail.
[1] Cela signifie que le recours au travail pour un étudiant n’a pas forcément lié à un besoin social (pauvreté), mais dépend souvent d’un choix de vie.
[2] En l’absence de données fiables, impossible de savoir précisément combien de 18-25 ans sont véritablement actifs sur ces sites.
[3] On peut citer les applications Side : https://www.side.co/fr , StudentPop, StaffMe ou Brigad, spécialisé dans les métiers de l’hôtellerie et de la restauration.
D’autre applications sont concentrées sur les activités de livraisons de repas : comme Deliveroo, Ubereats ou Frichti. Elles mobilisent de nombreux étudiants.
[4] Des plates-formes prennent de 20 à 25% de commissions sur les missions facturées.
[5] La Direction générale du travail précise « Rappelons tout d’abord que ces plates-formes peuvent aussi contribuer, par exemple pour des jeunes sans expérience professionnelle ou réseau, à trouver un emploi » (…) « cette forme d’organisation est licite : toutefois, dès lors que l’organisation de l’activité des « prestataires » par la plate-forme se caractérise par la subordination juridique du travailleur, les infractions pouvant être constatées par l’inspection du travail dans cette activité d’intermédiation recouvrent les principales incriminations prévues par le code du travail en matière de travail illégal : travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre, marchandage voire emploi d’étrangers sans titre de travail. »
In « La vague de l’ubérisation déferle sur les jobs étudiants » – Stéphane Béchaux – 13/05/2019 https://bit.ly/2E9jKfv
[6] La déléguée générale de Prism’emploi, Mme Isabelle Eynaud-Chevalier, a fait carrière en partie à la DGEFP, où elle a occupé le poste d’adjointe du Directeur.
[7] Marie Trespeuch sociologue a déposé le projet « L’emploi étudiant à l’heure des plateformes collaboratives » en juillet 2018. Il a été retenu dans l’appel à recherche Dares-Dress « Formes d’économie collaborative et protection sociale« . En partenariat avec l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), les travaux de recherche ont débuté en janvier 2019 pour deux ans.
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